
Papier de positionnement
Les réserves dans l’assurance obligatoire des soins
1. Généralités
Les réserves des assureurs-maladie font l’objet de discussions et de critiques répétées de la part des décideurs politiques comme de la part des médias. Les principales critiques portent sur leur niveau et leur taux ainsi que sur leur nécessité et leur influence sur la fixation des primes. Le niveau des réserves «cantonales» génère également des conflits à intervalles réguliers. La constitution de réserves est stipulée et clairement réglementée dans la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). Par contre, il n’existe pas de base légale pour la répartition des réserves par canton ; par ailleurs, elle n’est pas nécessaire.
2. Bases légales
Les assureurs-maladie admis à pratiquer sont chargés de la mise en oeuvre de l’assurance obligatoire des soins (AOS). Ils fixent des primes avec lesquelles ils couvrent les prestations LAMal fournies et leurs propres frais administratifs. Le montant des primes peut être échelonné s’il est établi que les coûts diffèrent selon les cantons et les régions. Pour garantir leur solvabilité à long terme, les assureurs constituent des réserves suffisantes conformément à l’article 60 LAMal. Dans son article 78, l’ordonnance OAMal, définit, quant à elle, les taux minimum des réserves légales: «Les assureurs doivent assurer l’équilibre des charges et des produits pour une période de financement de deux ans. Ils doivent en outre disposer en tout temps d’une réserve de sécurité (al.1). Dans l’assurance obligatoire des soins, la réserve de sécurité de l’assureur doit atteindre, selon le nombre d’assurés et pour l’exercice annuel, au moins le pourcentage suivant des primes à recevoir (al. 4) :
Nombre d’assurés | Réserve minimale de sécurité en % 1 |
Jusqu’à 50 000 | 20 |
Entre 50 000 et 150 000 | 15 |
Plus de 150 000 | 10 |
1 Ces chiffres s’appliquent à partir du 1er janvier 2009.
Cette « réserve de sécurité » minimale de deux ans, ancrée dans la loi, est capitale pour la sécurité des payeurs de primes. En effet, chaque assureur-maladie préserve ainsi ses assureurs des risques spécifiques à la branche, comme par exemple une soudaine hausse des coûts générée par de nouvelles prestations ou de nouveaux tarifs qui peuvent être introduits rétroactivement.
3. But des réserves
«Les réserves représentent les fonds propres des caisses-maladie en tant qu’entités juridiques et économiques indépendantes, et permettent de garantir leur solvabilité à long terme.»2
La constitution de réserves par les assureurs-maladie profite avant tout aux assurés et aux fournisseurs de prestations. Elle garantit aux assurés la couverture des coûts engendrés par la maladie et les soins. Les fournisseurs de prestations, quant à eux, sont assurés du financement des prestations qu’ils ont fournies. L’existence de réserves est importante notamment lorsque la branche est confrontée à des risques imprévus. Il existe une multitude de risques potentiels qui englobent essentiellement des risques entrepreneuriaux (variation des effectifs, évaluation erronée du budget, effondrement des valeurs boursières, etc.) et des risques spécifiques à la branche (épidémie, pandémie, nombre inhabituel de cas graves, détérioration de la qualité de l’effectif d’assurés, etc.)3. Si de tels risques entraînent d’importantes fluctuations des résultats, des réserves suffisantes permettent de compenser le montant insuffisant des primes.
Si un assureur enregistre des recettes supérieures aux dépenses pendant une année, la différence est inscrite dans le compte des réserves. En effet, conformément à l’article 12 LAMal, les assureurs ne doivent pas réaliser de bénéfice dans l’AOS ni p.ex. verser de dividendes à des actionnaires. Les réserves accumulées servent toujours à compenser les pertes des années ultérieures et profitent donc immanquablement aux assurés. L’utilisation exclusive des réserves pour couvrir les coûts de l’AOS est également clairement soutenue par le Conseil fédéral, entre autres dans sa réponse à la question parlementaire du Conseiller national Paul Rechsteiner4: «Les assureurs-maladie doivent, conformément à l'article 60 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie, tenir une comptabilité d'exploitation distincte pour l'AOS. Cette exigence s'applique également aux placements et aux revenus des placements. La comptabilité de chaque assureur-maladie est contrôlée annuellement par un organe de révision (fiduciaire) externe et indépendant. Ces mesures garantissent que les revenus de l'AOS (primes et rendement des placements) servent uniquement à couvrir les charges de l'AOS (prestations et frais administratifs). Les excédents de charges ou de revenus sont comptabilisés dans les réserves AOS.»
4. Evolution des réserves
En 1996, année d’introduction de la LAMal, les réserves se montaient en moyenne à 25,7% des primes dues (primes à recevoir) selon les chiffres de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). En 20075, leur niveau était de 20,2%.
Si l’on considère la moyenne des réserves par assuré, on constate que celles-ci atteignaient un montant de Fr. 412.- en 1998, de Fr. 268.- en 2002 et à nouveau de Fr. 527 en 2007. A noter toutefois que par rapport à 1998, le niveau des coûts a augmenté de 40% environ.
5. La question des réserves cantonales
Depuis l’introduction de la LAMal en 1996, les réserves cantonales constituent une structure artificielle. Ainsi, les réserves de chaque caisse disponibles à l’époque ont été réparties entre les cantons proportionnellement au volume des primes. Dans cette approche cantonale, on s’est inspiré indirectement de l’article 61 LAMal selon lequel l’assureur peut échelonner le montant des primes s’il est établi que les coûts diffèrent selon les cantons et les régions. Toutefois, ni les assurés d’un canton ni les cantons eux-mêmes ne sont à l’origine de ces réserves. Depuis 1996, l’effectif des assurés des caisses-maladie ne cesse d’évoluer très différemment d’un canton à l’autre; on a ainsi constaté, notamment dans les petits cantons, que les réserves cantonales fictives baissaient lorsque l’effectif des assurés augmentait rapidement et qu’elles augmentaient si l’effectif des assurés diminuait.
En principe, des réserves échelonnées selon les cantons ne sont pas prévues dans le système car les réserves servent à couvrir les risques importants et imprévus. Moins le nombre de personnes supportant conjointement les risques est élevé, plus les réserves doivent être importantes. En d’autres termes, cela signifie que des taux de réserves échelonnés par canton devraient être sensiblement plus élevés que les taux minimaux à l’échelon fédéral car la logique même des réserves cantonales veut que les risques imprévus survenant dans un canton ne soient pas financés à l’aide des réserves d’un autre canton.
Les réserves échelonnées selon les cantons ont déjà fait l’objet en 2000 d’une Expertise6. Le professeur G. Schmid y parvient à la conclusion que la loi ne contient pas de disposition explicite qui obligerait les assureurs à procéder à des réserves échelonnées selon les cantons. Un assureur-maladie est en réalité une entreprise qui forme un tout et ses prestations ne sont pas le fait d’entreprises cantonales indépendantes. La sécurité financière résultant des réserves concerne l’entreprise dans son ensemble et pas seulement des parties de celle-ci; ainsi, un assureur ne peut être mis en faillite dans un canton et pas dans un autre. Si on admettait le contraire, cela signifierait que conformément à l’art. 78 OAMal, les assureurs devraient avoir un taux de réserve plus élevé (15 à 20%) dans les cantons où ils comptent moins de 150 000 assurés et qu’ils seraient obligés de se réassurer dans les cantons où le nombre d’assurés est inférieur à 50 000. Si l’on poursuit systématiquement cette exigence de réserves cantonales, celles-ci devraient aussi être réparties par région étant donné que les primes peuvent être échelonnées par région. Cela met clairement et nettement en évidence toute l’absurdité de cette problématique.
6. Problématique d’une baisse du taux de réserve au seuil minimal
santésuisse estime problématique que sous prétexte de vouloir freiner la hausse des primes, le Conseil fédéral veuille obliger les assureurs à abaisser leur taux de réserve au seuil minimal. A court terme, un démantèlement des réserves peut certes alléger légèrement les primes.
Toutefois, l’OFSP précise qu’:«un recours massif aux réserves en lieu et place d’une évolution de primes ferait passer le niveau des primes très en dessous de celui des coûts, et l’année suivante l’augmentation serait supérieure à la moyenne.»7 Selon le Conseil fédéral, le démantèlement représente tout au plus un à deux mois de primes en fonction de la caisse; toutefois, à long terme, le matelas financier nécessaire aux assureurs pour parer à des hausses de coûts prévues ou non se volatilise, ce qui peut se traduire par des hausses de primes d’autant plus élevées à moyen terme. Celles-ci ne sont cependant ni dans l’intérêt des payeurs de primes ni dans l’intérêt de l’Etat qui doit les amortir par l’intermédiaire des réductions de primes.
La pratique du DFI dans le cadre des fixations de primes entre 1999 à 2001 a prouvé qu’une telle politique n’était pas la bonne solution. La pression exercée sur les assureurs-maladie pour qu’ils réduisent leurs réserves et qu’ils fixent des primes ne couvrant plus les coûts de la santé a finalement abouti à une baisse du taux minimal des réserves de 21 à 13%; de plus, les années suivantes ont été marquées par une hausse particulièrement forte des primes en raison du renflouement des réserves devenu indispensable. Par conséquent, le taux de réserves n’est pas un paramètre pertinent pour le pilotage des coûts comme le confirme aussi le rapport en réponse au postulat Robbiani.8
7 Comparaison avec les assurances complémentaires selon la LCA
Contrairement à l’assurance de base, les assurances complémentaires relèvent de la surveillance de l’Office fédéral des assurances privées (OFAP). Celui-ci doit veiller à ce que les compagnies d’assurance placées sous sa surveillance soient en mesure de verser à tout moment à leurs assurés les prestations d’assurance dues, et ceci de manière durable. Pour ce faire, l’OFAP vérifie si et dans quelle mesure les assureurs arrivent à couvrir leurs dépenses (sinistres déclarés, frais administratifs et dotation des réserves techniques requises) avec les primes encaissées. Indépendamment de cela, une compagnie d’assurance doit disposer en tout temps des fonds propres indispensables. Les exigences de l’OFAP en matière de garantie de la solvabilité se sont encore renforcées depuis l’entrée en vigueur du Swiss Solvency Test (SST) dans l’assurance-maladie complémentaire. Les données de la surveillance de l’année 2006 publiées par l’OFAP permettent de déduire que les assureurs qui pratiquent aussi à la charge de l’AOS9, disposent dans le domaine des assurances complémentaires de réserves10 s’élevant à 19,6% des recettes de primes d’une année. Le taux de réserve minimal applicable aux grands assureurs dès 2009 dans l’AOS s’élève, quant à lui, à 10%. Les deux autorités de surveillance semblent donc appliquer deux poids deux mesures en matière de constitution de réserves.
8. Conclusion
Les avis d’experts, de l’administration fédérale et du Conseil fédéral permettent de constater que les réserves sont un pilier essentiel de la sécurité financière du système de santé. Les fournisseurs de prestations ont la certitude que le financement de leurs prestations est garanti
et les assurés savent que leurs besoins en prestations de santé sont pris en charge. Cette couverture s’opère même lorsque des milliers d’assurés paient leurs primes avec du retard ou en cas de hausse imprévue des coûts de la santé.
Il n’existe pas de base légale autorisant une répartition virtuelle des réserves d’un assureur-maladie sur les assurés par canton. Lors du calcul des primes, les assureurs-maladie tiennent compte d’une part de l’évolution des coûts qui diverge d’un canton à l’autre et d’autre part du taux de réserve national. Etant donné que les taux de réserve des petits groupes d’assurés doivent être plus élevés que ceux des groupes plus importants, une «cantonalisation » des réserves conduirait obligatoirement à un relèvement de celles-ci.
La situation financière des assureurs est actuellement solide. Une adaptation systématique des réserves au taux minimal légal n’a qu’un impact passager sur les primes. Une telle manipulation politique des réserves ou du taux de réserve peut donc s’avérer dangereuse et conduire à des incertitudes supplémentaires tant pour les fournisseurs de prestations que pour les assurés. Les réserves ne sont pas un paramètre pertinent pour le pilotage des coûts. Il faut se rendre à l’évidence: si nous voulons lutter durablement contre la hausse des primes, nous devons nous attaquer aux coûts.
2 OFSP (2006), Fixation et approbation des primes dans l’assurance obligatoire des soins, rapport en réponse au postulat Robbiani (05.3625), page 25.
3 Ibid.
4 Question déposée par Paul Rechsteiner, 5.10.2005, n° 05.1138
5 Les chiffres pour 2007 sont provisoires
6 «Kantonale Zuteilung von Reserven im Rahmen der obligatorischen Krankenversicherung», Prof. Dr. Gerhard Schmid, Bâle, mai 2000.
7 OFSP (2006), Fixation et approbation des primes dans l’assurance obligatoire des soins, rapport en réponse au postulat Robbiani (05.3625), page 26.
8 Ibid, page 27.
9 L’OFAP publie les données relatives aux assurances Helsana, CSS, Groupe Mutuel, KPT, Innova, Intras et Assura.
10 Addition des réserves en capital, des réserves légales et autres réserves par rapport aux primes brutes comptabilisées.